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L’IMPOSTURE

maître, le vit ruisseler de larmes, et pensa défaillir lui-même.

Hélas ! nul n’est moins digne d’amour que celui-là qui vit seulement pour être aimé. De telles âmes, si habiles à se transformer au goût de chacun, ne sont que des miroirs où le faible apprend vite à haïr sa faiblesse, et le fort à douter de sa force, également méprisées par tous. Son désappointement, fut tel que le malheureux put le sentir, à travers la triple épaisseur de son orgueil ingénu. Il s’offrait, que demandait-on de plus ? Sa bonne volonté n’allait pas au delà, et ce malentendu fut sa ruine.

On ne pense qu’à l’infortune des fous, et tel sot connaît pourtant une pire solitude. Certaine médiocrité d’âme, partout vénielle, peut faire de la vie d’un prêtre une aventure absurde et tragique. Les idées de l’évêque de Paumiers, ou du moins ce que sa suffisance nomme ainsi, sont celles du plus pauvre universitaire. Incapable d’une trahison délibérée, avec une foi d’enfant qui résiste à tous les caprices de sa cervelle légère, il a fait ce rêve insensé d’être seulement prêtre dans le temps, et il l’est dans l’éternité. « Je suis de mon temps », répète-t-il, et de l’air d’un homme qui rend témoignage de lui-même… Mais il n’a jamais pris garde qu’il reniait ainsi chaque fois le signe éternel dont il est marqué.

Comment s’en aviserait-il ? La conscience se tait. Pas une fois le danseur n’a touché terre, n’a repris contact avec un sol ferme et sûr. Il s’agite dans un élément sans consistance, plus ténu que l’air, et l’observateur qui regarde d’en bas ne saurait prêter aucun sens à ses détours imprévus. « Je tourne l’obs-