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L’IMPOSTURE

fermé, sans doute dans l’illusion de marquer ainsi son indomptable résolution de vivre et mourir à l’avant-garde de son siècle.

La hardiesse de ce prêtre ingénieux n’abuse toutefois personne que lui. Sa lâcheté intellectuelle est immense. Impuissant à la concevoir, car son être tout entier défaillant, échappe à n’importe quelle méthode loyale de mesure, ne présente aucun point fixe, il n’en a pas moins la conscience obscure de ce qui leur manque et il ressent ce manque au plus creux et au plus chaud de son âme chétive et caressante : sa vanité. Le choix qu’on a jadis fait de lui a pu surprendre, mais n’a pas néanmoins fait scandale, car on le savait actif, instruit, gracieux jusqu’à l’importunité, empressé de plaire, et de mœurs irréprochables. Nul autre de ses prédécesseurs n’empoigna la crosse avec un plus vif désir de bien faire, de se donner sans réserve. Comme toutes les fortes passions de l’homme, l’ambition nous entretient dans un singulier état d’indifférence à l’égard d’autrui qui ressemble chez les plus vils à une sorte de candeur, comparable à la sinistre image, dans la corruption de l’âge mûr, des illusions de l’enfance. Comme l’enfant qui jette les bras au sein maternel, et croit donner le monde avec le baiser de sa bouche blonde, l’ambitieux n’apprend que tard, et par une cruelle expérience, à haïr ceux qu’il dépouille, car d’abord il les aime, trop heureux de commander pour n’espérer pas d’être obéi avec transport. « Désormais, je vous appartiens », disait Mgr Espelette à ses diocésains dans son premier mandement. Et tandis qu’il écrivait ces mots, son secrétaire particulier, déjà tout enflammé d’un saint zèle, et avide d’admirer son