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L’IMPOSTURE

ouvert depuis deux semaines déjà. Il résolut de partir pour l’Allemagne le jour même. L’idée d’une disparition si soudaine, si peu attendue surtout d’un homme connu pour son exactitude à remplir ses obligations professionnelles, par sa fidélité aux rendez-vous pris et donnés, l’ordre scrupuleux de sa correspondance, cette idée seule soulageait un peu son cœur. N’était-ce point comme un essai, le timide essai d’une fuite plus sûre ?… Il ferma les yeux.

Il se retrouva dans la rue, presque suffoqué par la fraîcheur du matin. L’humide haleine de la ville encore ténébreuse se dissipait lentement, baissait comme une eau morte jusqu’au sol d’où l’air neuf la repoussait mystérieusement, sans doute jusqu’au fond des caves de fer et de ciment que n’échauffe jamais la générosité d’aucun vin. Il marchait d’un pas rapide, son sac de voyage à la main, gêné dans le complet de voyage en hideux tissu anglais devenu trop étroit depuis les dernières vacances et qu’il avait tiré un moment plus tôt de sa malle, sans prendre garde aux taches et aux faux plis. Il est vrai que le visage de l’illustre écrivain ne prêtait point à rire.

Son ignorance des rues de Paris était extrême. Leur solitude à cette heure le déroutait. Incapable de prêter la moindre attention aux repères les plus simples, et par exemple de lire les noms aux plaques d’émail bleu, il se guidait plutôt vaguement sur des signes connus de lui seul, une boutique d’angle, l’étalage d’un bouquiniste, telle maison familière, ou même tel