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L’IMPOSTURE

Posément, il prit le revolver dans la main gauche, et pressa doucement. Une seconde la petite tige résista puis elle glissa dans la rainure. Le canon était dirigé au hasard, vers la muraille. La balle claqua sur la paroi de briques, ricocha dans la portière, qui n’eut qu’un léger frémissement. Un brouillard bleu, à l’odeur métallique, monta lentement vers le plafond, disparut.

Toujours posément, l’abbé Cénabre reprit l’objet dans la main droite, appliqua derrière l’oreille la froide petite bouche. Il était sûr de lui. Si sûr qu’il s’accorda encore une minute, non de réflexion, mais de répit… Chose étrange ! Le meurtre qu’il allait accomplir lui paraissait clairement stupide, monstrueux même, monstrueux dans sa stupidité, et c’était là justement sa dernière et âpre joie. Tout ce qui s’était passé cette nuit, — chaque acte, chaque pensée, — quelle succession d’événements bizarres, incohérents ! Il allait volontairement ajouter au cauchemar douloureux un épisode de plus, aussi incompréhensible, aussi délirant — plus incompréhensible, plus délirant ainsi qu’une folle revanche. Ce fut un éclair de haine qui l’éclaira. Il ne revit point son passé, il n’eut pas le temps de supputer l’avenir. Il ne pensa qu’à la vengeance qu’il allait ainsi tirer de lui-même. Oui, cette illumination n’eut que la durée d’un éclair… Que l’attente fut courte !

Mais alors ses yeux se posèrent par hasard sur le cadran de l’horloge. Son cou était roide. La pression de la petite bouche d’acier était devenue extraordinairement douloureuse. Ses épaules lui faisaient mal, comme après une pose longtemps tenue. Et il était là, interro-