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qu’un très petit nombre de justes exceptionnels dont l’enseignement et les héroïques exemples, passés au crible d’une enquête sévère, constituent le trésor commun des fidèles, bien qu’il ne leur soit nullement permis, remarquez-le, d’y puiser sans contrôle. Il s’ensuit, révérence gardée, que ces hommes admirables ressemblent à ces vins précieux, mais lents à se faire, qui coûtent tant de peines et de soins au vigneron pour ne réjouir que le palais de ses petits-neveux… Je plaisante, bien entendu. Cependant vous remarquerez que Dieu semble prendre garde de multiplier chez nous, séculiers, parmi ses troupes régulières, si j’ose dire, les saints à prodiges et à miracles, les aventuriers surnaturels qui font parfois trembler les cadres de la hiérarchie. Le curé d’Ars n’est-il pas une exception ? La proportion n’est-elle pas insignifiante de cette vénérable multitude de clercs zélés, irréprochables, consacrant leurs forces aux charges écrasantes du ministère, à ces canonisés ? Qui oserait cependant prétendre que la pratique des vertus héroïques soit le privilège des moines, voire de simples laïques ?

« Comprenez-vous maintenant que dans un sens, et toutes réserves faites sur le caractère un peu irrespectueux, paradoxal d’une telle boutade, j’aie pu dire : Dieu nous préserve des saints ? Trop souvent ils ont été une épreuve pour l’Église avant d’en devenir la gloire. Et encore je ne parle pas de ces saints ratés, incomplets, qui fourmillent au-