Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.

prêtre inexpérimenté comme vous seront toujours relevées par ses aînés, dont le devoir est de se former une opinion sur les nouveaux confrères. À votre âge, on ne se permet pas de boutades. Dans une petite société aussi fermée que la nôtre, ce contrôle réciproque est légitime, et il y aurait mauvais esprit à ne pas l’accepter de bon cœur. Certes, la probité commerciale n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était jadis, nos meilleures familles témoignent en cette matière d’une négligence blâmable. Mais la terrible Crise a ses rigueurs, avouons-le. J’ai connu un temps où cette modeste bourgeoisie, travailleuse, épargnante, qui fait encore la richesse et la grandeur de notre cher pays, subissait presque tout entière l’influence de la mauvaise presse. Aujourd’hui qu’elle sent le fruit de son travail menacé par les éléments de désordre, elle comprend que l’ère est passée des illusions généreuses, que la société n’a pas de plus solide appui que l’Église. Le droit de propriété n’est-il pas inscrit dans l’Évangile ? Oh ! sans doute, il y a des distinctions à faire, et dans le gouvernement des consciences vous devez appeler l’attention sur les devoirs correspondant à ce droit, néanmoins… »

Mes petites misères physiques m’ont rendu horriblement nerveux. Je n’ai pu retenir les paroles qui me venaient aux lèvres et pis encore : je les ai prononcées d’une voix tremblante dont l’accent m’a surpris moi-même.

— Il n’arrive pas souvent d’entendre au