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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

♦♦♦ J’ai vu hier M. le doyen de Blangermont qui m’a — très paternellement mais très longuement aussi — entretenu de la nécessité pour un jeune prêtre de surveiller attentivement ses comptes. « Pas de dettes, surtout, je ne les admets pas ! » a-t-il conclu. J’étais un peu surpris, je l’avoue, et je me suis levé bêtement, pour prendre congé. C’est lui qui m’a prié de me rasseoir (il avait cru sans doute à un mouvement d’humeur) ; j’ai fini par comprendre que Mme Pamyre se plaignait d’attendre encore le paiement de sa note (les bouteilles de quinquina). De plus il paraît que je dois cinquante-trois francs au boucher Geoffrin et cent dix-huit au marchand de charbon Delacour. M. Delacour est conseiller général. Ces messieurs n’ont d’ailleurs fait aucune réclamation, et M. le doyen a dû m’avouer qu’il tenait ces renseignements de Mme Pamyre. Elle ne me pardonne pas de me fournir d’épicerie chez Camus, étranger au pays, et dont la fille, dit-on, vient de divorcer. Mon supérieur est le premier à rire de ces potins qu’il juge ridicules, mais a montré quelque agacement lorsque j’ai manifesté l’intention de ne plus remettre les pieds chez M. Pamyre. Il m’a rappelé des propos tenus par moi, au cours d’une de nos conférences trimestrielles chez le curé de Verchocq, à laquelle il n’assistait pas. J’aurais parlé en termes qu’il estime beaucoup trop vifs du commerce et des commerçants. « Mettez-vous bien dans la tête, mon enfant, que les paroles d’un jeune