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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

a la garde du pauvre, bien sûr. C’est le plus facile. Tout homme compatissant assure avec elle cette protection. Au lieu qu’elle est seule, — tu m’entends, — seule, absolument seule à garder l’honneur de la pauvreté. Oh ! nos ennemis ont la part belle. « Il y aura toujours des pauvres parmi vous, » ce n’est pas une parole de démagogue, tu penses ! Mais c’est la Parole, et nous l’avons reçue. Tant pis pour les riches qui feignent de croire qu’elle justifie leur égoïsme. Tant pis pour nous qui servons ainsi d’otages aux Puissants, chaque fois que l’armée des misérables revient battre les murs de la Cité ! C’est la parole la plus triste de l’Évangile, la plus chargée de tristesse. Et d’abord, elle est adressée à Judas. Judas ! Saint Luc nous rapporte qu’il tenait les comptes et que sa comptabilité n’était pas très nette, soit ! Mais enfin, c’était le banquier des Douze, et qui a jamais vu en règle la comptabilité d’une banque ? Probable qu’il forçait un peu sur la commission, comme tout le monde. À en juger par sa dernière opération, il n’aurait pas fait un brillant commis d’agent de change, Judas ! Mais le bon Dieu prend notre pauvre société telle quelle, au contraire des farceurs qui en fabriquent une sur le papier, puis la réforment à tour de bras, toujours sur le papier, bien entendu ! Bref, Notre-Seigneur savait très bien le pouvoir de l’argent, il a fait près de lui une petite place au capitalisme, il lui a laissé sa chance, et même il a fait la première mise de fonds ; je trouve ça pro-