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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

nochet qu’on enterre demain. Lui aussi piochait la vie…

Le « viens vite ! » m’a serré le cœur. Après son pauvre discours si étudié (je crois le voir se grattant la tempe du bout de son porte-plume, comme jadis), ce mot d’enfant qu’il ne peut plus retenir, qui lui échappe… Un moment, j’ai essayé d’imaginer que je me montais la tête, qu’il recevait tout simplement les soins d’une personne de sa famille. Malheureusement, je ne lui connais qu’une sœur servante d’estaminet à Montreuil. Ce ne doit pas être elle, « cette personne qui mérite le plus grand respect ».

N’importe, j’irai sûrement.

♦♦♦ M. le comte est venu me voir. Très aimable, à la fois déférent et familier comme toujours. Il m’a demandé la permission de fumer sa pipe, et m’a laissé deux lapins qu’il avait tués dans les bois de Sauveline. « Mme Pégriot vous cuira ça demain matin. Elle est prévenue. »

Je n’ai pas osé lui dire que mon estomac ne tolère plus en ce moment que le pain sec. Son civet me coûtera une demi-journée de la femme de ménage, laquelle ne se régalera même pas, car toute la famille du garde-chasse est dégoûtée du lapin. Il est vrai que je pourrai faire porter les restes par l’enfant de chœur chez ma vieille sonneuse, mais à la nuit, pour n’attirer l’attention de personne. On ne parle que trop de ma mauvaise santé.