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JOURNAL

simples. Ainsi la belle douillette que je réservais pour les circonstances exceptionnelles est maintenant trop large. De plus, Mme Pégriot, sur ma demande d’ailleurs, l’a détachée, mais si maladroitement que l’essence y a fait des cernes affreux. On dirait de ces taches irisées qui se forment sur les bouillons trop gras. Il m’en coûte un peu d’aller au château avec celle que je porte d’habitude et qui a été maintes fois reprisée, surtout au coude. Je crains d’avoir l’air d’afficher ma pauvreté. Que ne pourrait-on croire !

Je voudrais aussi être en état de manger juste assez au moins pour ne pas attirer l’attention. Mais impossible de rien prévoir, mon estomac est d’un capricieux ! À la moindre alerte, la même petite douleur apparaît au côté droit, j’ai l’impression d’une espèce de déclic, d’un spasme. Ma bouche se sèche instantanément, je ne peux plus rien avaler.

Ce sont là des incommodités, sans plus. Je les supporte assez bien, je ne suis pas douillet, je ressemble à ma mère. « Ta mère était une dure, » aime à répéter mon oncle Ernest. Pour les pauvres gens je crois que cela signifie une ménagère infatigable, jamais malade, et qui ne coûte pas cher pour mourir.

♦♦♦ M. le comte ressemble certainement plus à un paysan comme moi qu’à n’importe quel riche industriel comme il m’est arrivé d’en approcher jadis, au cours de mon