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JOURNAL

pas l’ambition de réformer ma nature, je vaincrai mes répugnances, voilà tout. Si je me dois d’abord aux âmes, je ne puis rester ignorant des préoccupations, légitimes en somme, qui tiennent une si grande place dans la vie de mes paroissiens. Notre instituteur – un Parisien pourtant – fait bien des conférences sur les assolements et les engrais. Je m’en vais bûcher ferme toutes ces questions.

Il faudra aussi que je réussisse à fonder une société sportive, à l’exemple de la plupart de mes confrères. Nos jeunes gens se passionnent pour le football, la boxe ou le tour de France. Vais-je leur refuser le plaisir d’en discuter avec moi sous prétexte que ces sortes de distractions — légitimes aussi, certes ! — ne sont pas de mon goût ? Mon état de santé ne m’a pas permis de remplir mon devoir militaire, et il serait ridicule de vouloir partager leurs jeux. Mais je puis me tenir au courant, ne serait-ce que par la lecture de la page sportive de l’Écho de Paris, journal que me prête assez régulièrement M. le comte.

Hier soir ces lignes écrites, je me suis mis à genoux, au pied de mon lit, et j’ai prié Notre-Seigneur de bénir la résolution que je venais de prendre. L’impression m’est venue tout à coup d’un effondrement des rêves, des espérances, des ambitions de ma jeunesse, et je me suis couché grelottant de fièvre, pour ne m’endormir qu’à l’aube.