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peut-être jamais. Heureusement, l’attention s’est détournée de moi et le curé de Lumbres, spécialiste en ces matières, a traité supérieurement le problème des caisses rurales et des coopératives agricoles.

Je suis rentré assez tristement, sous la pluie. Le peu de vin que j’avais pris me causait d’affreuses douleurs d’estomac. Il est certain que je maigris énormément depuis l’automne et ma mine doit être de plus en plus mauvaise car on m’épargne désormais toute réflexion sur ma santé. Si les forces allaient me manquer ! J’ai beau faire, il m’est difficile de croire que Dieu m’emploiera vraiment — à fond, — se servira de moi comme des autres. Je suis chaque jour plus frappé de mon ignorance des détails les plus élémentaires de la vie pratique, que tout le monde semble connaître sans les avoir appris, par une espèce d’intuition. Évidemment, je ne suis pas plus bête que tel ou tel, et à condition de m’en tenir à des formules retenues aisément, je puis donner l’illusion d’avoir compris. Mais ces mots qui pour chacun ont un sens précis me paraissent au contraire se distinguer à peine entre eux, au point qu’il m’arrive de les employer au hasard, comme un mauvais joueur risque une carte. Au cours de la discussion sur les caisses rurales, j’avais l’impression d’être un enfant fourvoyé dans une conversation de grandes personnes.

Il est probable que mes confrères n’étaient guère plus instruits que moi, en dépit des tracts dont on nous inonde. Mais je suis stupé-