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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

vingt sous par semaine que je donne au petit enfant de chœur qui va me chercher de l’eau à la fontaine. Mais j’aurais voulu lui dire un mot de son cabaret car il se propose maintenant de donner un bal chaque jeudi et chaque dimanche – il intitule celui du jeudi « le bal des familles » et il y attire jusqu’à des petites filles de la fabrique que les garçons s’amusent à faire boire.

Je n’ai pas osé. Il a une façon de me regarder avec un sourire en somme bienveillant, qui m’encourage à parler comme si, de toutes manières, ce que j’allais dire n’avait sûrement aucune importance. Il serait d’ailleurs plus convenable d’aller le trouver à son domicile. J’ai le prétexte d’une visite, son épouse étant gravement malade, et ne quittant pas la chambre depuis des semaines. Elle ne passe pas pour une mauvaise personne et même était jadis, me dit-on, assez exacte aux offices.

… « Apporter de la paille fraîche au bœuf, étriller l’âne… », soit. Mais les besognes simples ne sont pas les plus faciles, au contraire. Les bêtes n’ont que peu de besoins, toujours les mêmes, tandis que les hommes ! Je sais bien qu’on parle volontiers de la simplicité des campagnards. Moi qui suis fils de paysans, je les crois plutôt horriblement compliqués. À Béthune, au temps de mon premier vicariat, les jeunes ouvriers de notre patronage, sitôt la glace rompue, m’étourdissaient de leurs confidences, ils cherchaient sans cesse à se définir, on les sentait débor-