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JOURNAL

de sa Sainte Humanité, Notre-Seigneur ne s’affirme pas victime de l’injustice : Non sciunt quod facient. Paroles intelligibles aux plus petits enfants, paroles qu’on voudrait dire enfantines, mais que les démons doivent se répéter depuis sans les comprendre, avec une croissante épouvante. Alors qu’ils attendaient la foudre, c’est comme une main innocente qui ferme sur eux le puits de l’abîme.

J’ai donc une grande joie à penser que les reproches dont j’ai parfois souffert ne m’étaient faits que dans notre commune ignorance de ma véritable destinée. Il est clair qu’un homme raisonnable comme M. le doyen de Blangermont s’attachait trop à prévoir ce que je serais plus tard, et il m’en voulait inconsciemment aujourd’hui des fautes de demain.

J’ai aimé naïvement les âmes (je crois d’ailleurs que je ne puis aimer autrement). Cette naïveté fût devenue à la longue dangereuse pour moi et pour le prochain, je le sens. Car j’ai toujours résisté bien gauchement à une inclination si naturelle de mon cœur qu’il m’est permis de la croire invincible. La pensée que cette lutte va finir, n’ayant plus d’objet, m’était déjà venue ce matin, mais j’étais alors au plein de la stupeur où m’avait mis la révélation de M. le docteur Laville. Elle n’est entrée en moi que peu à peu. C’était un mince filet d’eau limpide, et maintenant cela déborde de l’âme, me remplit de fraîcheur. Silence et paix.