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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

ment jeunes, que ceux qu’il a désignés pour ne pas survivre à leur jeunesse. J’appartiens à cette race d’hommes. Je me demandais : que ferai-je à cinquante, à soixante ans ? Et, naturellement, je ne trouvais pas de réponse. Je ne pouvais pas même en imaginer une. Il n’y avait pas de vieillard en moi.

Cette assurance m’est douce. Pour la première fois depuis des années, depuis toujours peut-être, il me semble que je suis en face de ma jeunesse, que je la regarde sans méfiance. Je crois reconnaître son visage, un visage oublié. Elle me regarde aussi, elle me pardonne. Accablé du sentiment de la maladresse foncière qui me rendait incapable d’aucun progrès, je prétendais exiger d’elle ce qu’elle ne pouvait donner, je la trouvais ridicule, j’en avais honte. Et maintenant, las tous deux de nos vaines querelles, nous pouvons nous asseoir au bord du chemin, respirer un moment, sans rien dire, la grande paix du soir où nous allons entrer ensemble.

Il m’est très doux aussi de me dire que personne ne s’est rendu coupable à mon égard d’excessive sévérité — pour ne pas écrire le grand mot d’injustice. Certes, je rends volontiers hommage aux âmes capables de trouver dans le sentiment de l’iniquité dont elles sont victimes un principe de force et d’espoir. Quoi que je fasse, je sens bien que je répugnerai toujours à me savoir la cause — même innocente — ou seulement l’occasion de la faute d’autrui. Même sur la Croix, accomplissant dans l’angoisse la perfection