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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

vrais diables. Elle était devenue grosse, à ne pas croire, tout son sang tournait en graisse. N’importe. « Il n’y a rien de plus endurant qu’une femme, qu’elle disait encore, ça ne doit se coucher que pour mourir. » Elle a eu un malaise qui la prenait à la poitrine, à l’épaule, dans le bras, elle ne pouvait plus respirer. Le dernier soir, papa est rentré fin saoul, comme d’habitude. Elle a voulu mettre la cafetière sur le feu, elle lui a glissé des mains. « Sacrée bête que je suis, qu’elle a fait, cours chez la voisine en emprunter une autre et reviens dare dare, crainte que le père se réveille. » Quand je suis rentrée, elle était quasi morte, un côté de la figure presque noir, et sa langue passait entre ses lèvres, noire aussi. — « Faudrait que je m’étende, qu’elle a dit, ça ne va pas. » Papa ronflait sur le lit, elle n’a pas osé le réveiller, elle a été s’asseoir au coin du feu. — « Tu peux maintenant mettre le morceau de lard dans la soupe, qu’elle a dit encore, la v’là qui bout. » Et elle est morte. »

Je ne voulais pas l’interrompre parce que je comprenais bien qu’elle n’en avait jamais raconté si long à personne, et c’est vrai qu’elle a paru tout à coup s’éveiller d’un songe, elle était très embarrassée. — « Je parle, je parle, et j’entends M. Louis qui rentre, je reconnais son pas dans la rue. Mieux vaut que je m’en aille. Il me rappellera, probable, a-t-elle ajouté en rougissant, mais ne lui dites rien, il serait furieux. »