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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

moi joué un rôle, parlé un langage qui n’est pas le mien. Je ne veux rien braver, rien défier. L’héroïsme à ma mesure est de n’en pas avoir et puisque la force me manque, je voudrais maintenant que ma mort fût petite, aussi petite que possible, qu’elle ne se distinguât pas des autres événements de ma vie. Après tout, c’est à ma naturelle maladresse que je dois l’indulgence et l’amitié d’un homme tel que M. le curé de Torcy. Elle n’en est pas indigne peut-être ? Peut-être est-elle celle de l’enfance ? Si sévèrement que je me juge parfois, je n’ai jamais douté d’avoir l’esprit de pauvreté. Celui d’enfance lui ressemble. Les deux sans doute ne font qu’un.

Je suis content de n’avoir pas revu M. Olivier. Je suis content de commencer le premier jour de mon épreuve ici, dans cette chambre. Ça n’est d’ailleurs pas une chambre, on m’a dressé un lit dans un petit corridor où mon ami range ses échantillons de droguerie. Tous ces paquets sentent horriblement mauvais. Il n’y a pas de solitude plus profonde qu’une certaine laideur, qu’une certaine désolation de la laideur. Un bec de gaz, de ceux qu’on appelle, je crois, papillon, siffle et crache au-dessus de ma tête. Il me semble que je me blottis dans cette laideur, cette misère. Elle m’aurait inspiré, jadis, du dégoût. Je suis content qu’elle accueille aujourd’hui mon malheur. Je dois dire que je ne l’ai pas cherchée, je ne l’ai même pas reconnue tout de suite. Lorsque hier soir, après