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JOURNAL

familier, nous pensons à lui comme à ces contrées fabuleuses dont nous lisons les noms dans les livres. Je me disais justement tout à l’heure que mon angoisse avait été celle d’une déception brutale, instantanée. Ce que je croyais perdu au delà d’océans imaginaires, était devant moi. Ma mort est là. C’est une mort pareille à n’importe quelle autre, et j’y entrerai avec les sentiments d’un homme très commun, très ordinaire. Il est même sûr que je ne saurai guère mieux mourir que gouverner ma personne. J’y serai aussi maladroit, aussi gauche. On me répète : « Soyez simple ! » Je fais de mon mieux. C’est si difficile d’être simple ! Mais les gens du monde disent « les simples » comme ils disent « les humbles », avec le même sourire indulgent. Ils devraient dire : les rois.

Mon Dieu, je vous donne tout, de bon cœur. Seulement je ne sais pas donner, je donne ainsi qu’on laisse prendre. Le mieux est de rester tranquille. Car si je ne sais pas donner. Vous, vous savez prendre… Et pourtant j’aurais souhaité d’être une fois, rien qu’une fois, libéral et magnifique envers Vous !

J’ai été très tenté aussi d’aller trouver M. Olivier, rue Verte. J’étais même en chemin, je suis revenu. Je crois qu’il m’aurait été impossible de lui cacher mon secret. Puisqu’il part dans deux ou trois jours pour le Maroc, cela n’aurait pas eu grande importance, mais je sens que devant lui j’aurais malgré