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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

Enfin nous avons un divan, vous pourrez vous y étendre, c’est le principal. »

Il a tiré les rideaux, et je l’ai vu en pleine lumière. Je ne l’imaginais pas si jeune. Son visage est aussi maigre que le mien, et d’une couleur si bizarre que j’ai cru d’abord à un jeu de lumière. On aurait dit le reflet du bronze. Et il me fixait de ses yeux noirs, avec une sorte de détachement, d’impatience, mais sans aucune dureté, au contraire. Comme j’enlevais péniblement mon tricot de laine, très reprisé, il a tourné le dos. Je suis resté bêtement assis sur le divan, sans oser m’étendre. Ce divan était d’ailleurs encombré de jouets plus ou moins brisés, il y avait même une poupée de chiffons, tachée d’encre. Le docteur l’a posée sur une chaise, puis, après quelques questions, il m’a soigneusement palpé, en fermant parfois les yeux. Sa figure était juste au-dessus de la mienne et la longue mèche de cheveux noirs m’effleurait le front. Je voyais son cou décharné, serré dans un mauvais faux col de celluloïd, tout jauni, et le sang qui affluait peu à peu à ses joues leur donnait maintenant une teinte de cuivre. Il m’inspirait de la crainte et aussi un peu de dégoût.

Son examen a duré longtemps. J’étais surpris qu’il accordât si peu d’attention à ma poitrine malade, il a seulement passé plusieurs fois sa main sur mon épaule gauche, à la place de la clavicule, en sifflotant. La fenêtre s’ouvrait sur une courette et j’apercevais à travers les vitres une muraille noire