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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

surer avec la douleur, elle se glisse au dedans, elle en fait peu à peu une habitude — notre force est là. Sinon, comment expliquer l’acharnement à vivre de tant de malheureuses dont l’effrayante patience finit par épuiser l’ingratitude et l’injustice du mari, des enfants, des proches — ô nourricières des misérables !

Seulement, il faut se taire. Il faut me taire aussi longtemps que le silence me sera permis. Et cela peut durer des semaines, des mois. Quand je pense qu’il eût sans doute suffi tout à l’heure d’une parole, d’un regard de pitié, d’une simple question peut-être ! pour que ce secret m’échappât… Il était déjà sur mes lèvres, c’est Dieu qui l’a retenu. Oh ! je sais bien que la compassion d’autrui soulage un moment, je ne la méprise point. Mais elle ne désaltère pas, elle s’écoule dans l’âme comme à travers un crible. Et quand notre souffrance a passé de pitié en pitié, ainsi que de bouche en bouche, il me semble que nous ne pouvons plus la respecter ni l’aimer…

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Me voilà de nouveau à cette table. J’ai voulu revoir l’église dont j’étais sorti si honteux de moi ce matin. C’est vrai qu’elle est froide et noire. Ce que j’attendais n’est pas venu.

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Au retour, Mme Duplouy m’a fait partager son déjeuner. Je n’ai pas osé refuser. Nous avons parlé de M. le curé de Torcy,