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III


♦♦♦ C’est honteux de ne pouvoir tenir ma plume. Mes mains tremblent. Pas toujours, mais par crises, très courtes d’ailleurs, quelques secondes. Je me force à noter cela.

S’il me restait assez d’argent, je prendrais le train pour Amiens. Mais j’ai eu ce geste absurde, tout à l’heure, en sortant de chez le médecin. Que c’est bête ! Il me reste mon billet de retour et trente-sept sous.

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Supposons que cela se soit très bien passé ; je serais peut-être à cette même place, écrivant comme je fais. Je me souviens très bien d’avoir remarqué ce petit estaminet tranquille, avec son arrière-salle déserte, si commode, et les grosses tables de bois mal équarries. (La boulangerie, à côté, embaumait le pain frais.) J’avais même faim…

Oui, sûrement… J’aurais tiré ce cahier de mon sac, j’aurais demandé la plume et l’encre, la même bonne me les eût apportées avec le même sourire. J’aurais souri aussi. La rue est pleine de soleil.

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Quand je relirai ces lignes demain, dans six semaines — six mois peut-être, qui sait ? — je sens bien que je souhaiterai d’y retrou-