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JOURNAL

jours devant un grand feu je ne sais quel étonnement stupide d’enfant ou de sauvage. Comme la nuit est calme ! Je sens bien que je ne dormirai plus.

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J’achevai donc mes préparatifs, cet après-midi, lorsque j’ai entendu grincer la porte d’entrée. J’attendais mon remplaçant, j’ai cru reconnaître son pas. S’il faut tout dire, j’étais d’ailleurs absorbé par un travail ridicule. Mes souliers sont en bon état, mais l’humidité les a rougis, je les noircissais avec de l’encre, avant de les cirer. N’entendant plus aucun bruit, j’ai voulu aller jusqu’à la cuisine, et j’ai vu Mlle Chantal assise sur la chaise basse, dans la cheminée. Elle ne me regardait pas, elle avait les yeux fixés sur les cendres.

Cela ne m’a pas autrement surpris, je l’avoue. Résigné d’avance à subir toutes les conséquences de mes fautes, volontaires ou non, j’ai l’impression de disposer d’un délai de grâce, d’un sursis, je ne veux rien prévoir, à quoi bon ? Elle a paru un peu déconcertée par mon bonjour. — « Vous partez demain, paraît-il ? » — « Oui, mademoiselle. » — « Vous reviendrez ? » — « Cela dépendra. » — « Cela ne dépend que de vous. » — « Non. Cela dépend du médecin. Car je vais consulter à Lille. » — « Vous avez de la chance d’être malade. Il me semble que la maladie doit donner le temps de rêver. Je ne rêve jamais. Tout se déroule dans ma tête avec une précision horrible, on dirait les comptes d’un