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JOURNAL

Mon Dieu, si j’allais guérir ! Si la crise dont je souffre était le premier symptôme de la transformation physique qui marque parfois la trentième année… Une phrase que j’ai lue je ne sais où me hante depuis deux jours : « Mon cœur est avec ceux de l’avant, mon cœur est avec ceux qui se font tuer. » Ceux qui se font tuer… Soldats, missionnaires…

Le temps ne s’accorde que trop bien avec ma… j’allais écrire : ma joie, mais le mot ne serait pas juste. Attente conviendrait mieux. Oui, une grande, une merveilleuse attente, qui dure même pendant le sommeil, car elle m’a positivement réveillé cette nuit. Je me suis trouvé les yeux ouverts, dans le noir, et si heureux que l’impression en était presque douloureuse, à force d’être inexplicable. Je me suis levé, j’ai bu un verre d’eau, et j’ai prié jusqu’à l’aube. C’était comme un grand murmure de l’âme. Cela me faisait penser à l’immense rumeur des feuillages qui précède le lever du jour. Quel jour va se lever en moi ? Dieu me fait-il grâce ?

♦♦♦ J’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un mot de M. Olivier, daté de Lille, où il passera, me dit-il, ses derniers jours de permission, chez un ami, 30, rue Verte. Je ne me souviens pas de lui avoir parlé de mon prochain voyage dans cette ville. Quelle étrange coïncidence !

La voiture de M. Bigre viendra me chercher ce matin à cinq heures trente.

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