Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/304

Cette page a été validée par deux contributeurs.
294
JOURNAL

ment étranger ? » — « Au régiment ?… » — « À la Légion, quoi ! Le mot me dégoûte depuis que les romanciers l’ont mis à la mode. » — « Voyons, un prêtre !… » ai-je balbutié. « Des prêtres ? Ça n’est pas les prêtres qui manquent là-bas. Tenez, l’ordonnance de mon commandant était un ancien curé du Poitou. Nous ne l’avons su qu’après… » — « Après ?… » — « Après sa mort, parbleu ! » — « Et comment est-il… » — « Comment il est mort ? Dame, sur un mulet de bât, ficelé comme un saucisson. Il avait une balle dans le ventre. » — « Ce n’est pas ce que je vous demande. » — « Écoutez, je ne veux pas vous mentir. Les garçons aiment à crâner, dans ce moment-là. Ils ont deux ou trois formules qui ressemblent assez à ce que vous appelez des blasphèmes, soyons francs ! » — « Quelle horreur ! » Il se passait en moi quelque chose d’inexplicable. Dieu sait que je n’avais jamais beaucoup songé à ces hommes durs, à leur vocation terrible, mystérieuse, car pour tous ceux de ma génération le nom de soldat n’évoque que l’image banale d’un civil mobilisé. Je me souviens de ces permissionnaires qui nous arrivaient chargés de musettes et que nous revoyions le même soir déjà vêtus de velours — des paysans comme les autres. Et voilà que les paroles d’un inconnu éveillaient tout à coup en moi une curiosité inexprimable. — « Il y a blasphème et blasphème, poursuivait mon compagnon de sa voix tranquille, presque dure. Dans