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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

sagement. Le ciel s’était couvert, il soufflait une petite bise aigre. J’ai bien senti que je m’éveillais d’un rêve.

Par chance, le chemin était désert, nous n’avons rencontré que la vieille Madeleine, qui liait des fagots. Elle ne s’est pas retournée. Je croyais que M. Olivier allait pousser jusqu’au château, mais il m’a demandé gentiment la permission d’entrer. Je ne savais que lui dire. J’aurais donné Dieu sait quoi pour pouvoir le régaler un peu, car rien n’ôtera de la tête d’un paysan comme moi que le militaire a toujours faim et soif. Naturellement, je n’ai pas osé lui offrir de mon vin qui n’est plus qu’une tisane boueuse peu présentable. Mais nous avons allumé un grand feu de fagots, et il a bourré sa pipe. — « Dommage que je parte demain, nous aurions pu recommencer… » — « L’expérience me suffit, ai-je répondu. Les gens n’aimeraient pas trop voir leur curé courir sur les routes, à la vitesse d’un train express. D’ailleurs, je pourrais me tuer. » — « Vous avez peur de ça ? » — « Oh ! non… Enfin, guère… Mais que penserait Monseigneur ? » — « Vous me plaisez beaucoup, m’a-t-il dit. Nous aurions été amis. » — « Votre ami, moi ? » « Sûr ! Et ce n’est pourtant pas faute d’en savoir long sur votre compte. Là-bas, on ne parle que de vous. » — « Mal ? » — « Plutôt… Ma cousine est enragée. Une vraie Sommerange celle-là. » — « Que voulez-vous dire ? » — « Hé bien, moi aussi, je suis Sommerange. Avides et durs, jamais satisfaits de rien, avec