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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

s’est arrêtée net, tout son corps prêt à la fuite, la tête seule tournée vers moi. Puis elle a eu ce même mouvement des épaules, je me suis approché doucement, elle tirait désespérément vers ses genoux sa jupe de laine grise. À travers un accroc de son bas, j’ai vu sa jambe violette. — « Voilà pourquoi tu boites, lui ai-je dit, qu’est-ce que c’est ? » Elle a sauté en arrière, je lui ai pris la main comme au vol. En se débattant, elle a découvert un peu au-dessus du mollet une grosse ficelle liée si fort que la chair faisait deux gros bourrelets, couleur d’aubergine. Elle s’est dégagée d’un bond, sautant à cloche-pied à travers les bancs, je ne l’ai rattrapée qu’à deux pas de la porte. Son air grave m’a imposé silence d’abord. — « C’est pour me punir d’avoir parlé à Mlle Chantal, j’ai promis de garder la ficelle jusqu’à ce soir. » — « Coupe cela ! » lui ai-je dit. Je lui ai tendu mon couteau, elle a obéi sans dire mot. Mais le soudain afflux du sang a dû être terriblement douloureux, car elle a fait une affreuse grimace. Si je ne l’avais pas retenue, elle serait sûrement tombée. « Promets-moi de ne pas recommencer. » Elle a incliné la tête, toujours gravement, et elle est partie, en s’appuyant de la main au mur. Que Dieu la garde !

♦♦♦ J’ai dû avoir cette nuit une hémorragie insignifiante, certes, mais qu’il ne m’est guère possible de confondre avec un saignement de nez.