Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.
276
JOURNAL

avait dû sécher des larmes, cela faisait une traînée luisante qui se perdait dans le creux d’ombre des pommettes. — « J’ai causé avec Famechon, l’aide-jardinier qui sert à table, en l’absence de François. Chantal a tout raconté à son père, ils se tordaient de rire. Elle avait trouvé un petit livre, près de la maison Dumouchel, elle a lu votre nom à la première page. Alors l’idée lui est venue d’interroger Séraphita, et la petite, comme toujours, s’est laissé tirer les vers du nez… » Je la regardais, stupide, sans pouvoir articuler un mot. Même en ce moment, où elle eût dû savourer sa vengeance, la colère n’arrivait pas à donner une autre expression à ses tristes yeux que celle d’une résignation de bête domestique, son visage était seulement un peu moins pâle. — « Il paraît que la petite vous a trouvé ronflant dans le chemin de… » Je lui ai tourné le dos. Elle a couru derrière moi, et en voyant sa main sur ma manche, je n’ai pu réprimer un mouvement de dégoût, il m’a fallu un grand effort pour la prendre dans la mienne et l’écarter doucement. « Allez-vous-en ! lui dis-je. Je prierai pour vous. » Elle m’a fait enfin pitié. « Tout s’arrangera, je vous le promets. J’irai voir M. le comte. » Elle s’est éloignée rapidement, tête basse et légèrement de biais, ainsi qu’un animal blessé.

M. le chanoine de la Motte-Beuvron vient de quitter Ambricourt. Je ne l’ai pas revu.

Aperçu aujourd’hui Séraphita. Elle gar-