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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

sa solitude. » — « Enfin, vous avez vos occupations, les jours passent vite. » Cela m’a fait sourire malgré moi. — « Vous devez maintenant vous éloigner, lui dis-je, quitter le pays. Je vous promets d’obtenir ce qui vous est dû. Je vous le ferai tenir à l’endroit que vous m’indiquerez. » — « Grâce à Mademoiselle, sans doute ? Je ne pense aucun mal de cette enfant, je lui pardonne. C’est une nature violente, mais généreuse. J’imagine parfois qu’une explication franche… » Elle avait ôté un de ses gants et le pétrissait nerveusement contre sa paume. Elle me faisait pitié, certes — et aussi un peu horreur. — « Mademoiselle, lui dis-je, à défaut d’autre chose, la fierté devrait vous interdire certaines démarches, d’ailleurs inutiles. Et l’extraordinaire, c’est que vous prétendiez m’y associer. » — « La fierté ? Quitter ce pays où j’ai vécu heureuse, considérée, presque l’égale des maîtres, pour m’en aller comme une mendiante, est-ce là ce que vous appelez fierté ? Hier, déjà, au marché, des paysans qui m’auraient jadis saluée jusqu’à terre, faisaient semblant de ne pas me reconnaître. » — « Ne les reconnaissez pas non plus. Soyez fière ! » — « La fierté, toujours la fierté ! Qu’est-ce que la fierté, d’abord ? Je n’avais jamais pensé que la fierté fût une des vertus théologales… Je m’étonne même de trouver ce mot dans votre bouche. » — « Pardon, lui dis-je, si vous voulez parler au prêtre, il vous demandera l’aveu de vos fautes pour avoir le droit de vous en absoudre. » — « Je