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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

cun racloir n’aura jamais raison, une vraie barbe de chemineau, de roulier… Après tout, le sang qui tache ma soutane pourrait provenir d’un saignement de nez ? Comment une hypothèse si plausible ne s’est-elle pas présentée d’abord ? Mais l’hémorragie aura eu lieu pendant ma courte syncope, et j’étais resté, avant de perdre connaissance, sous l’impression d’une horrible nausée.

J’irai néanmoins consulter à Lille cette semaine, sans faute.

Après la messe, visite à mon confrère d’Haucolte, pour le prier de me remplacer en cas d’absence. C’est un prêtre que je connais peu, mais presque du même âge que moi, il m’inspire confiance. Malgré tous les lavages, le plastron de ma soutane est horrible à voir. J’ai raconté qu’un flacon d’encre rouge s’était renversé dans l’armoire, et il m’a prêté obligeamment une vieille douillette. Que pensait-il de moi ? Je n’ai pu lire dans son regard.

M. le curé de Torcy a été transporté hier dans une clinique d’Amiens. Il souffre d’une crise cardiaque peu grave, dit-on, mais qui exige des soins, l’assistance d’une infirmière. Il a laissé pour moi un billet griffonné au crayon, alors qu’il prenait place dans l’ambulance ; « Mon petit Gribouille, prie bien le bon Dieu, et viens me voir à Amiens, la semaine prochaine. »

Au moment de quitter l’église, je me suis trouvé en face de Mlle Louise. Je la croyais très loin d’ici. Elle était venue d’Arches à