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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

de malheur, j’avais des visites à faire aux environs du fonds Galbat, les chemins y sont mauvais. Il ne pleuvait pas, mais la terre est d’argile, elle collait à mes semelles, elle ne sèche qu’en août. Chaque fois, les gens me faisaient place au foyer, près du poêle bourré d’un gros charbon de Bruays, mes tempes battaient au point qu’il m’était difficile d’entendre, je répondais un peu au hasard, je devais avoir l’air bien étrange ! Néanmoins j’ai tenu bon : un voyage au fonds Galbat est toujours pénible en raison de l’éloignement des maisons, disséminées à travers les prairies, et je ne voulais pas risquer d’y perdre une autre soirée. De temps en temps, je consultais furtivement mon petit carnet, je barrais les noms à mesure, la liste me paraissait interminable. Lorsque je me suis retrouvé dehors, ma tâche achevée, je me sentais si mal que le cœur m’a manqué de rejoindre la grande route, j’ai suivi la lisière du bois. Ce chemin me faisait passer très près de la maison des Dumouchel où je désirais me rendre. Depuis deux semaines en effet, Séraphita ne paraît plus au catéchisme, je m’étais promis d’interroger son père. J’ai d’abord marché avec assez de courage, ma douleur d’estomac semblait moins violente, je ne souffrais plus guère que de vertiges et de nausées. Je me rappelle très bien avoir dépassé la corne du bois d’Auchy. Une première défaillance a dû me prendre un peu au delà. Je croyais encore lutter pour me tenir debout, et je sentais cependant contre ma joue, l’argile glacée. Je me suis levé enfin.