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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

dins, avec les cancres. Je me dis aussi que le dernier reproche de M. le curé n’est pas aussi injuste que je l’avais pensé d’abord. Il est vrai que ma conscience ne me fait là-dessus aucun reproche : je n’ai pas choisi volontiers ce régime qu’il trouve extravagant. Mon estomac n’en supportait pas d’autres, voilà tout. D’ailleurs, pensais-je encore, cette erreur, du moins, n’aura scandalisé personne. C’est le docteur Delbende qui avait mis en garde mon vieux maître, et le ridicule incident de la bouteille brisée l’aura simplement confirmé dans une opinion toute gratuite.

J’ai fini par sourire de mes craintes. Sans doute, Mme Pégriot, Mitonnet, M. le comte, quelques autres, n’ignorent pas que je bois du vin. Et après ? Il serait trop absurde qu’on dût m’imputer à crime une faute qui ne serait tout au plus qu’un péché de gourmandise, familier à beaucoup de mes confrères. Et Dieu sait que je ne passe pas ici pour gourmand.

(J’ai interrompu ce journal depuis deux jours, j’avais beaucoup de répugnance à poursuivre. Réflexion faite, je crains d’obéir moins à un scrupule légitime qu’à un sentiment de honte. Je tâcherai d’aller jusqu’au bout.)

Après le départ de M. le curé de Torcy, je suis sorti. Je devais aller d’abord prendre des nouvelles d’un malade, M. Duplouy. Je l’ai trouvé râlant. Il ne souffrait pourtant que d’une pneumonie assez bénigne, au dire du