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JOURNAL

générale de l’entretien que j’aurais incessamment avec mes supérieurs, et je découvrais presque avec joie que je n’avais rien à dire. Depuis deux jours, et sans que j’en eusse très clairement conscience, ma crainte était qu’on ne m’accusât d’une faute que je n’avais pas commise. L’honnêteté, en ce cas, m’eût défendu de garder le silence. Au lieu que j’étais désormais libre de laisser chacun juger à sa guise des actes de mon ministère, d’ailleurs susceptibles d’appréciations fort diverses. Et ce m’était aussi un grand soulagement de penser que Mlle Chantal avait pu se tromper de bonne foi sur le véritable caractère d’une conversation qu’elle n’avait probablement entendue que fort mal. Je suppose qu’elle était dans le jardin, sous la fenêtre, dont l’entablement est très élevé au-dessus du sol.

Arrivé au presbytère, j’ai été bien étonné d’avoir faim. Ma provision de pommes n’est pas épuisée, j’en fais cuire assez souvent sur les braises, et je les arrose de beurre frais. J’ai aussi des œufs. Le vin est vraiment médiocre, mais chaud et sucré, il devient passable. Je me sentais si frileux que j’ai rempli cette fois ma petite casserole. Cela fait la valeur d’un verre à eau, pas davantage, je le jure. Comme je terminais mon repas, M. le curé de Torcy est entré. La surprise — mais non pas la surprise seule — m’a cloué sur place. Je me suis mis debout, tout chancelant, je devais avoir l’air égaré. En me levant, ma main gauche avait maladroitement effleuré la bouteille, elle s’est brisée avec un bruit