Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

as-tu parlé d’une éternelle séparation ? On ne fait pas chanter les âmes, mon petit. » — « Vous présentez les choses ainsi, lui dis-je, je pourrais les présenter autrement. À quoi bon ! L’essentiel est vrai. » — « Voilà tout ce que tu trouves à répondre ? » — « Oui. » J’ai cru qu’il allait m’accabler. Il est devenu au contraire très pâle, presque livide, j’ai compris alors combien il m’aimait. « Ne restons pas ici plus longtemps, balbutia-t-il, et surtout refuse de recevoir la fille, c’est une diablesse. » — « Je ne lui fermerai pas ma porte, je ne fermerai ma porte à personne, aussi longtemps que je serai curé de cette paroisse. » — « Elle prétend que sa mère t’a résisté jusqu’au bout, que tu l’as laissée dans une agitation, un désordre d’esprit incroyable. Est-ce vrai ? » — « Non ! » — « Tu l’as laissée… » — « Je l’ai laissée avec Dieu, en paix. » — « Ah ! (Il a poussé un profond soupir.) Songe qu’elle a pu garder en mourant le souvenir de tes exigences, de ta dureté ?… » — « Elle est morte en paix. » — « Qu’en sais-tu ? » Je n’ai même pas été tenté de parler de la lettre. Si l’expression ne devait paraître ridicule, je dirais que de la tête aux pieds, je n’étais plus que silence. Silence et nuit. « Bref, elle est morte, qu’est-ce que tu veux qu’on pense ! Des scènes pareilles ne valent rien pour une cardiaque. » Je me suis tu. Nous nous sommes quittés sur ces mots.

J’ai regagné lentement le presbytère. Je ne souffrais pas. Je me sentais même soulagé d’un grand poids. Cette entrevue avec M. le curé de Torcy, elle était comme la répétition