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JOURNAL

poser leurs gitons ! Remarque que ce M. Claudel est un génie, je ne dis pas non, mais ces gens de lettres sont tous pareils : dès qu’ils veulent toucher à la sainteté, ils se barbouillent de sublime, ils se mettent du sublime partout ! La sainteté n’est pas sublime, et si j’avais confessé l’héroïne, je lui aurais d’abord imposé de changer contre un vrai nom de chrétienne son nom d’oiseau — elle s’appelle Sygne — et puis de tenir sa parole, car enfin on n’en a qu’une, et notre Saint-Père le Pape lui-même n’y peut rien. » — « Mais en quoi moi-même… » lui dis-je. — « Cette histoire de médaillon ? » — « De médaillon ? » Je ne pouvais comprendre. — Allons, nigaud, on vous a entendus, on vous a vus, il n’y a pas de miracle là dedans, rassure-toi. » — « Qui nous a vus ? » — « Sa fille. Mais La Motte-Beuvron t’a déjà renseigné, ne fais pas la bête. » — « Non. » — « Comment, non ? Par exemple ! Hé bien, je suis pris, je pense que je dois maintenant aller jusqu’au bout, hein ? » Je n’ai pas bronché, j’avais eu le temps, de reprendre un peu de calme. Au cas où Mlle Chantal eût altéré la vérité, elle l’avait fait avec adresse, j’allais me débattre dans un inexplicable réseau de demi-mensonges dont je ne m’arracherais pas sans risquer de trahir la morte à mon tour. M. le curé semblait étonné de mon silence, déconcerté. — « Je me demande ce que tu entends par résignation… Forcer une mère à jeter au feu le seul souvenir qu’elle garde d’un enfant mort, cela ressemble à une histoire juive, c’est de l’Ancien Testament. Et de quel droit