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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

chement que M. le curé a souri. — « Je ne te croyais pas si enfant, tu es à bout de nerfs, mon petit. » (Mais en même temps il m’observait de nouveau, avec une telle vivacité d’attention que j’avais toutes les peines du monde à me taire, je voyais bouger son regard, et il était comme au bord de mon secret. Oh ! c’est un vrai maître des âmes, un seigneur !) Enfin, il a haussé les épaules, de l’air d’un homme qui renonce. — « Assez comme ça, nous ne pouvons pas rester jusqu’à ce soir dans cette cahute. Après tout, il est possible que le bon Dieu te tienne dans la tristesse. Mais j’ai toujours remarqué que ces épreuves-là, si grand que soit l’ennui où elles nous jettent, ne faussent jamais notre jugement dès que le bien des âmes l’exige. On m’avait déjà répété sur ton compte des choses ennuyeuses, embêtantes, n’importe ! Je connais la malice des gens. Mais c’est vrai que tu n’as fait que des bêtises avec la pauvre comtesse, c’est du théâtre ! » — « Je ne comprends pas. » — « As-tu lu l’Otage de M. Paul Claudel ? » J’ai répondu que je ne savais même pas de qui ni de quoi il parlait. — « Allons ! tant mieux. Il s’agit là dedans d’une sainte fille qui, sur les conseils d’un curé dans ton genre, renie sa parole, épouse un vieux renégat, se livre au désespoir, le tout sous le prétexte d’empêcher le Pape d’aller en prison, comme si depuis saint Pierre la place d’un pape n’était pas plutôt à la Mamertine que dans un palais décoré de haut en bas par ces mauvais sujets de la Renaissance qui pour peindre la Sainte Vierge faisaient