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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

et que vous brûlez de m’en jeter l’aveu à la face ? » — « Oui, j’entends bien. Vous allez me parler de pardon, jouer au martyr ? » — « Détrompez-vous, lui dis-je, je suis le serviteur d’un maître puissant, et comme prêtre je ne puis absoudre qu’en son nom. La charité n’est pas ce que le monde imagine, et si vous voulez bien réfléchir à ce que vous avez appris jadis vous conviendrez avec moi qu’il est un temps pour la miséricorde, un temps pour la justice et que le seul irréparable malheur est de se trouver un jour sans repentir devant la Face qui pardonne. » — « Eh bien, dit-elle, vous ne saurez rien ! » Elle s’est écartée de la porte, me laissant le passage libre. Au moment de franchir le seuil, je l’ai vue une dernière fois debout contre le mur, les bras pendants, la tête penchée sur la poitrine.

M. le comte n’est rentré qu’un quart d’heure plus tard. Il revenait des champs, tout crotté, la pipe à la bouche, l’air heureux. Je crois qu’il sentait l’alcool. Il a paru étonné de me trouver là. — « Ma fille vous a donné les papiers, c’est le détail de la cérémonie funèbre célébrée pour ma belle-mère par votre prédécesseur. Je désire qu’on fasse de même pour les obsèques, à quelques détails près. » — « Les tarifs ont malheureusement changé depuis. » — « Voyez ma fille. » — « Mais Mademoiselle ne m’a rien transmis. » — « Comment ! vous ne l’avez pas vue ? — « Je viens de la voir. » — « Par exemple ! Prévenez Mademoiselle, » a-t-il dit à la femme de chambre. Mademoiselle n’avait pas quitté le petit salon,