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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

avait glissé sous la table. C’était la lettre de Mme la comtesse, j’ai failli pousser un cri, et tandis que je la lui prenais des mains, il a dû s’apercevoir que je tremblais car nos doigts se sont croisés. Je crois même qu’il a eu peur. Après quelques phrases insignifiantes, nous nous sommes quittés sur un salut cérémonieux. J’irai au château demain matin.

J’ai veillé toute la nuit, le jour commence à poindre. Ma fenêtre est restée ouverte et je grelotte. À peine puis-je tenir ma plume entre les doigts mais il me semble que je respire mieux, je suis plus calme. Certes, je ne pourrais pas dormir, et pourtant ce froid qui me pénètre me tient lieu de sommeil. Il y a une heure ou deux tandis que je priais, assis sur mes talons, la joue posée contre le bois de ma table, je me suis senti tout à coup si creux, si vide, que j’ai cru mourir. Cela était doux.

Heureusement, il restait un peu de vin au fond de la bouteille. Je l’ai bu très chaud et très sucré. Il faut avouer qu’un homme de mon âge ne peut guère espérer entretenir ses forces avec quelques verres de vin, des légumes, et parfois un morceau de lard. Je commets certainement une faute grave en retardant de jour en jour ma visite au médecin de Lille.

Je ne crois pourtant pas que je sois lâche. J’ai seulement beaucoup de mal à lutter contre cette espèce de torpeur qui n’est pas l’indifférence, qui n’est pas non plus la rési-