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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

dotal, cela va sans dire, mais à votre simple discrétion. D’ailleurs ce papier ne quittera ma poche que pour être mis sous les yeux de Son Excellence. Mais je me méfie des ragots. » — Comme je ne répondais pas, il m’a fixé encore une fois, très longuement, de ses yeux volontairement éteints, de ses yeux morts. Pas un muscle de son visage ne bougeait. — « Vous vous défiez de moi, » a-t-il repris d’une voix tranquille, assurée, sans réplique. J’ai répondu que je ne comprenais pas qu’une telle conversation pût faire l’objet d’un rapport, qu’elle n’avait pas eu de témoins, et que par conséquent Mme la comtesse aurait été seule capable d’en autoriser la divulgation. Il a haussé les épaules. « Vous ne connaissez pas l’esprit des bureaux. Présenté par moi, on acceptera votre témoignage avec reconnaissance, on le classera, et personne n’y pensera plus. Sinon, vous vous perdrez dans des explications verbales, d’ailleurs inutiles, car vous ne saurez jamais parler leur langage. Quand vous leur affirmeriez que deux et deux font quatre, ils vous prendront encore pour un exalté, pour un fou. » Je me taisais. Il m’a posé la main sur l’épaule. « Allons, laissons cela. Je vous reverrai demain, si vous le permettez. Je ne vous cache pas que j’étais venu dans l’intention de vous préparer à la visite de mon neveu, mais à quoi bon ? Vous n’êtes pas de ces gens qui peuvent parler pour ne rien dire, et c’est malheureusement ce qu’il faudrait. » — « Enfin, m’écriai-je, qu’ai-je fait de mal, que me reproche-t-on ? » — « D’être