Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
224
JOURNAL

obsèques, que M. le comte veut correctes, sans plus, selon — assure-t-il — le désir maintes fois exprimé de son épouse. La chose faite, nous sommes restés silencieux l’un et l’autre assez longtemps, j’étais très gêné. M. le chanoine, le regard au plafond, ouvrait et fermait machinalement le boîtier de sa grosse montre d’or. « Je dois vous prévenir, dit-il enfin, que mon neveu Omer (M. le comte s’appelle Omer, je l’ignorais) désire vous rencontrer ce soir en particulier. » J’ai répondu que j’avais donné rendez-vous à quatre heures au sacristain pour déplier les tentures, et que je me rendrais aussitôt après au château. « Allons donc, mon enfant, vous le recevrez au presbytère. Vous n’êtes pas le chapelain du château, que diable ! Et je vous conseillerais même de vous tenir sur une grande réserve, ne vous laissez pas entraîner à discuter avec lui les actes de votre ministère. » — « Quels actes ? » Il a réfléchi avant de répondre. — « Vous avez vu ma petite-nièce ici ? » — « Mlle Chantal est venue m’y trouver, monsieur le chanoine. « — « C’est une nature dangereuse, indomptable. Elle a su vous émouvoir, sans doute ? » — « Je l’ai traitée durement. Je crois plutôt l’avoir humiliée. » — « Elle vous hait. » — « Je ne le pense pas, monsieur le chanoine, elle s’imagine peut-être me haïr, ce n’est pas la même chose. » — « Vous croyez avoir quelque influence sur elle ? » — « Non certes, pour le moment. Mais elle n’oubliera pas, peut-être, qu’un pauvre homme tel que moi lui a tenu tête un jour, et qu’on ne trompe pas le