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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

donc que j’aurais mieux à faire que d’écrire ces lignes. Et cependant j’ai plus que jamais besoin de ce journal. Le peu de temps que j’y consacre est le seul où je me sente quelque volonté de voir clair en moi. La réflexion m’est devenue si pénible, ma mémoire est si mauvaise — je parle de la mémoire des faits récents, car l’autre ! — mon imagination si lente que je dois me tuer de travail pour m’arracher à on ne sait quelle rêverie vague, informe, dont la prière, hélas ! ne me délivre pas toujours. Dès que je m’arrête, je me sens sombrer dans un demi-sommeil qui trouble toutes les perspectives du souvenir, fait de chacune de mes journées écoulées un paysage de brumes, sans repères, sans routes. À condition de le tenir scrupuleusement, matin et soir, mon journal jalonne ces solitudes, et il m’arrive de glisser les dernières feuilles dans ma poche pour les relire lorsque au cours de mes promenades monotones, si fatigantes, d’annexe en annexe, je crains de céder à mon espèce de vertige.

Tel quel, ce journal tient-il trop de place dans ma vie… je l’ignore. Dieu le sait.

♦♦♦ M. le chanoine de la Motte-Beuvron sort d’ici. C’est un prêtre bien différent de ce que j’imaginais. Pourquoi ne m’a-t-il pas parlé plus nettement, plus franchement ? Il l’eût souhaité, sans doute, mais ces hommes du monde, si corrects, redoutent visiblement de s’attendrir.

Nous avons d’abord réglé le détail des