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JOURNAL

une solitude effrayante, et il me semble qu’un autre enfant m’a tirée de cette solitude. J’espère ne pas vous froisser en vous traitant ainsi d’enfant ? Vous l’êtes. Que le bon Dieu vous garde tel, à jamais !

« Je me demande ce que vous avez fait, comment vous l’avez fait. Ou plutôt, je ne me le demande plus. Tout est bien. Je ne croyais pas la résignation possible. Et ce n’est pas la résignation qui est venue, en effet. Elle n’est pas dans ma nature, et mon pressentiment là-dessus ne me trompait pas. Je ne suis pas résignée, je suis heureuse. Je ne désire rien.

« Ne m’attendez pas demain. J’irai me confesser à l’abbé X…, comme d’habitude. Je tâcherai de le faire avec le plus de sincérité, mais aussi avec le plus de discrétion possible, n’est-ce pas ? Tout cela est tellement simple ! Quand j’aurai dit : « J’ai péché volontairement contre l’espérance, à chaque heure du jour, depuis onze ans, » j’aurai tout dit. L’espérance ! Je l’avais tenue morte entre mes bras, par l’affreux soir d’un mars venteux, désolé… j’avais senti son dernier souffle sur ma joue, à une place que je sais. Voilà qu’elle m’est rendue. Non pas prêtée cette fois, mais donnée. Une espérance bien à moi, rien qu’à moi, qui ne ressemble pas plus à ce que les philosophes nomment ainsi, que le mot amour ne ressemble à l’être aimé. Une espérance qui est comme la chair de ma chair. Cela est inexprimable. Il faudrait des mots de petit enfant.

« Je voulais vous dire ces choses dès ce