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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

laisser encore dans de miséricordieuses ténèbres. Que dire ? Que faire ? J’étais comme un homme qui, ayant grimpé d’un trait une pente vertigineuse, ouvre les yeux, s’arrête ébloui, hors d’état de monter ou de descendre.

C’est alors — non ! cela ne peut s’exprimer — tandis que je luttais de toutes mes forces contre le doute, la peur, que l’esprit de prière rentra en moi. Qu’on m’entende bien : depuis le début de cet entretien extraordinaire, je n’avais cessé de prier, au sens que les chrétiens frivoles donnent à ce mot. Une malheureuse bête, sous la cloche pneumatique, peut faire tous les mouvements de la respiration, qu’importe ! Et voilà que soudain, l’air siffle de nouveau dans ses bronches, déplie un à un les délicats tissus pulmonaires déjà flétris, les artères tremblent au premier coup de bélier du sang rouge — l’être entier est comme un navire à la détonation des voiles qui se gonflent.

Elle s’est laissée tomber dans son fauteuil, la tête entre ses mains. Sa mantille déchirée traînait sur son épaule, elle l’arracha doucement, la jeta doucement à ses pieds. Je ne perdais aucun de ses mouvements, et cependant j’avais l’impression étrange que nous n’étions ni l’un ni l’autre dans ce triste petit salon, que la pièce était vide.

Je l’ai vue tirer de son corsage un médaillon, au bout d’une simple chaîne d’argent. Et toujours avec cette même douceur, plus effrayante qu’aucune violence, elle a fait sauter de l’ongle le couvercle dont le verre a