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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

enfant boudeur. Mais cette fois j’ai vu la révolte, la vraie révolte, éclater sur un visage humain. Cela ne s’exprimait ni par le regard, fixe et comme voilé, ni par la bouche, et la tête même, loin de se redresser fièrement, penchait sur l’épaule, semblait plutôt plier sous un invisible fardeau… Ah ! les fanfaronnades du blasphème n’ont rien qui approche de cette simplicité tragique ! On aurait dit que le brusque emportement de la volonté, son embrasement, laissait le corps inerte, impassible, épuisé par une trop grande dépense de l’être.

— « Me résigner ? a-t-elle dit d’une voix douce qui glaçait le cœur, qu’entendez-vous par là ? Ne le suis-je point ? Si je ne m’étais résignée, je serais morte. Résignée ! Je ne le suis que trop, résignée ! j’en ai honte (sa voix, sans s’élever de ton, avait une sonorité bizarre, et comme un éclat métallique). Oh, j’ai plus d’une fois, jadis, envié ces femmes débiles qui ne remontent pas de telles pentes. Mais nous sommes bâties à chaux et à sable, nous autres. Pour empêcher ce misérable corps d’oublier, j’aurais dû le tuer. Ne se tue pas qui veut. » — « Je ne parle pas de cette résignation-là, lui dis-je, vous le savez bien. » — « Quoi donc ? Je vais à la messe, je fais mes pâques, j’aurais pu abandonner toute pratique, j’y ai pensé. Cela m’a paru indigne de moi. » — « Madame, n’importe quel blasphème vaudrait mieux qu’un tel propos. Il a, dans votre bouche, toute la dureté de l’enfer. » Elle s’est tue, le regard fixé sur le mur. — « Com-