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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

le croyez-vous, madame ? » ai-je dit. Dieu ! Elle a jeté la tête en arrière et j’ai vu — oui, j’ai vu — le temps d’un éclair, l’aveu monter malgré elle des profondeurs de son âme sans pardon. Le regard surpris en plein mensonge disait : oui, alors que l’irrésistible mouvement de l’être intérieur jetait le « non » par la bouche entr’ouverte.

Je crois que ce « non » l’a surprise elle-même, mais elle n’a pas tenté de le reprendre. Les haines familiales sont les plus dangereuses de toutes pour la raison qu’elles se satisfont à mesure, par un perpétuel contact, elles ressemblent à ces abcès ouverts qui empoisonnent peu à peu, sans fièvre.

— « Madame, lui dis-je, vous jetez un enfant hors de sa maison, et vous savez que c’est pour toujours. » — « Cela dépend d’elle. » — « Je m’y opposerai. » — « Vous ne la connaissez guère. Elle a trop de fierté pour rester ici par tolérance, elle ne le souffrirait pas. » La patience m’échappait. — « Dieu vous brisera ! » m’écriai-je. Elle a poussé une sorte de gémissement, oh, non pas un gémissement de vaincu qui demande grâce, c’était plutôt le soupir, le profond soupir d’un être qui recueille ses forces avant de porter un défi. — « Me briser ? Il m’a déjà brisée. Que peut-il désormais contre moi ? Il m’a pris mon fils. Je ne le crains plus. » — « Dieu l’a éloigné de vous pour un temps, et votre dureté… » — « Taisez-vous ! » — « La dureté de votre cœur peut vous séparer de lui pour toujours. » — « Vous blasphémez, Dieu ne se venge