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JOURNAL

Un petit pauvre qui, à douze ans, passe d’une maison misérable au séminaire, ne saura jamais la valeur de l’argent. Je crois même qu’il nous est difficile de rester strictement honnêtes en affaires. Mieux vaut ne pas risquer de jouer, serait-ce innocemment, avec ce que la plupart des laïques tiennent non pour un moyen, mais pour un but.

Mon confrère de Verchin, qui n’est pas toujours des plus discrets, a cru devoir faire sous forme de plaisanterie, allusion, devant M. Pamyre, à ce petit malentendu. M. Pamyre en était sincèrement affecté. « Que M. le curé, a-t-il dit, vienne autant de fois qu’il lui plaira, nous aurons du plaisir à trinquer ensemble. Nous n’en sommes pas à une bouteille près, grâce à Dieu ! Mais les affaires sont les affaires, je ne puis donner ma marchandise pour rien. » Et Mme Pamyre aurait ajouté, paraît-il : « Nous autres, commerçants, nous avons aussi nos devoirs d’état. »

♦♦♦ J’ai décidé ce matin de ne pas prolonger l’expérience au delà des douze mois qui vont suivre. Au 25 novembre prochain, je mettrai ces feuilles au feu, je tâcherai de les oublier. Cette résolution prise après la messe ne m’a rassuré qu’un moment.

Ce n’est pas un scrupule au sens exact du mot. Je ne crois rien faire de mal en notant ici, au jour le jour, avec une franchise absolue, les très humbles, les insignifiants secrets d’une vie d’ailleurs sans mystère. Ce que je