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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

fille comme on trompe sa femme. Ce n’est pas la même chose, c’est pire. Mais je me vengerai. Je me sauverai à Paris, je me déshonorerai, je lui écrirai : voilà ce que vous avez fait de moi ! Et il souffrira ce que j’ai souffert ! » J’ai réfléchi un moment. Il me semblait que je lisais à mesure sur ses lèvres d’autres mots qu’elle ne prononçait pas, qui s’inscrivaient un à un, dans mon cerveau, tout flamboyants. Je me suis écrié comme malgré moi : « Vous ne ferez pas cela. Ce n’est pas de cela que vous êtes tentée, je le sais ! » Elle s’est mise à trembler si fort qu’elle a dû s’appuyer des deux mains au mur. Et il s’est passé un autre petit fait que je rapporte avec l’autre, sans l’expliquer non plus. J’ai parlé au hasard, je suppose. Et cependant j’étais sûr de ne pas me tromper « Donnez-moi la lettre, la lettre qui est là, dans votre sac. Donnez-la-moi sur-le-champ ! » Elle n’a pas essayé de résister, elle a seulement eu un profond soupir, elle m’a tendu le papier, en haussant les épaules. « Vous êtes donc le diable ! » a-t-elle dit.

Nous sommes sortis presque tranquillement, mais j’avais peine à me tenir debout, je marchais courbé en deux, ma douleur d’estomac, presque oubliée, se faisait sentir de nouveau, plus forte, plus angoissante que je ne l’avais jamais connue. Un mot du cher vieux docteur Delbende m’est revenu en mémoire : la douleur en broche. C’était cela, en effet. Je pensais à ce blaireau que M. le comte avait cloué au sol, devant moi, d’un coup d’épieu, et qui agonisait percé de part en part,