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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

ment. Comme elle n’avait pas voulu rester à genoux, elle devait se tenir pliée en deux, le front contre la cloison, et la colère aussi l’étouffait) Je sais parfaitement qu’ils s’arrangeront pour me chasser, coûte que coûte. Je dois partir pour l’Angleterre, mardi prochain. Maman a une cousine là-bas, elle trouve ce projet très convenable, très pratique… Convenable ! Il y a de quoi se tordre ! Mais elle croit tout ce qu’ils lui disent, n’importe quoi, absolument comme une grenouille gobe une mouche. Pouah !… » — « Votre mère, ai-je commencé… » Elle m’a répondu par des propos presque ignobles, que je n’ose pas rapporter. Elle disait que la malheureuse femme n’avait pas su défendre son bonheur, sa vie, qu’elle était imbécile et lâche. — « Vous écoutez aux portes, ai-je repris, vous regardez par le trou des serrures, vous faites le métier d’espionne, vous, une demoiselle, et si fière ! Moi, je ne suis qu’un pauvre paysan, j’ai passé deux ans de ma jeunesse dans un mauvais estaminet où vous n’auriez pas voulu mettre les pieds, mais je n’agirais pas comme vous, quand ce serait pour sauver ma vie. » Elle s’est levée brusquement, s’est tenue devant le confessionnal, tête basse, le visage toujours aussi dur. J’ai crié : « Restez à genoux. À genoux !… » Elle m’a obéi de nouveau.

Je m’étais reproché l’avant-veille d’avoir pris trop au sérieux ce qui n’était peut-être qu’obscure jalousie, rêveries malsaines, cauchemars. On nous a tellement mis en garde contre la malice de celles que nos vieux traités