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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

que, par ma faute sûrement, la prière m’est d’un si faible secours, je ne retrouve un peu de sang-froid qu’à cette table, devant ces feuilles de papier blanc.

Oh ! je voudrais bien que cela ne fût qu’un rêve, un mauvais rêve !

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En raison des obsèques de Mme Ferrand j’ai dû dire ma Messe à six heures, ce matin. L’enfant de chœur n’est pas venu, je me croyais seul dans l’église. À cette heure, en cette saison, à peine le regard porte-t-il un peu plus loin que les marches du chœur, et le reste est dans l’ombre. J’ai entendu tout à coup, distinctement, le faible bruit d’un chapelet glissant le long d’un banc de chêne, sur les dalles. Puis plus rien. À la bénédiction, je n’ai pas osé lever les yeux.

Elle m’attendait à la porte de la sacristie. Je le savais. Son mince visage était encore plus torturé qu’avant-hier, et il y avait ce pli de la bouche, si méprisant, si dur. Je lui ai dit : « Vous savez bien que je ne puis vous recevoir ici, allez-vous-en ! » Son regard m’a fait peur, je ne me croyais pourtant pas lâche. Mon Dieu ! quelle haine dans sa voix ! Et ce regard restait fier, sans honte. On peut donc haïr sans honte ?

— Mademoiselle, ai-je dit, ce que j’ai promis de faire, je le ferai. — « Aujourd’hui ? » — « Aujourd’hui même. » — « C’est que demain, monsieur, il serait trop tard. Elle sait que je suis venue au presbytère, elle sait tout. Rusée comme une bête ! Je ne me méfiais pas