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JOURNAL

les lignes suivantes, plusieurs fois raturées mais encore déchiffrables : J’ai écrit ceci dans une grande et plénière angoisse du cœur et des sens. Tumulte d’idées, d’images, de paroles. L’âme se tait. Dieu se tait. Silence.)

♦♦♦ Impression que cela n’est rien encore, que la véritable tentation — celle que j’attends — est loin derrière, qu’elle monte vers moi, lentement, annoncée par ces vociférations délirantes. Et ma pauvre âme l’attend aussi. Elle se tait. Fascination du corps et de l’âme.

(La brusquerie, le caractère foudroyant de mon malheur. L’esprit de prière m’a quitté sans déchirement, de lui-même, comme un fruit tombe…)

L’épouvante n’est venue qu’après. J’ai compris que le vase était brisé en regardant mes mains vides.

♦♦♦ Je sais bien qu’une pareille épreuve n’est pas nouvelle. Un médecin me dirait sans doute que je souffre d’un simple épuisement nerveux, qu’il est ridicule de prétendre se nourrir d’un peu de pain et de vin. Mais d’abord je ne me sens pas épuisé, loin de là. Je vais mieux. Hier j’ai fait presque un repas : des pommes de terre, du beurre. De plus, j’arrive aisément à bout de mon travail. Dieu sait qu’il m’arrive de désirer soutenir une lutte contre moi-même ! Il me semble que je reprendrais courage. Ma douleur d’estomac se réveille parfois. Mais alors elle me surprend,