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JOURNAL

presque par les mêmes moyens… Si la folie et la luxure ne faisaient qu’un ?

Un philosophe à l’aise dans sa bibliothèque aura là-dessus, naturellement, une opinion différente de celle d’un prêtre, et surtout d’un prêtre de campagne. Je crois qu’il est peu de confesseurs qui n’éprouvent, à la longue, l’écrasante monotonie de ces aveux, une sorte de vertige. Moins encore de ce qu’ils entendent que de ce qu’ils devinent, à travers le petit nombre de mots, toujours les mêmes, dont la niaiserie suffoque lorsqu’on les lit mais qui, chuchotés dans le silence et l’ombre, grouillent comme des vers, avec l’odeur du sépulcre. Et l’image nous obsède alors de cette plaie toujours ouverte, par où s’écoule la substance de notre misérable espèce. De quel effort n’eût pas été capable le cerveau de l’homme si la mouche empoisonnée n’y avait pondu sa larve !

On nous accuse, on nous accusera toujours, nous autres prêtres — c’est si facile ! — de nourrir au fond de notre cœur une haine envieuse, hypocrite de la virilité : quiconque a quelque expérience du péché n’ignore pas pourtant que la luxure menace sans cesse d’étouffer sous ses végétations parasites, ses hideuses proliférations, la virilité comme l’intelligence. Incapable de créer, elle ne peut que souiller dès le germe la frêle promesse d’humanité : elle est probablement à l’origine, au principe de toutes les tares de notre race, et dès qu’au détour de la grande forêt sauvage dont nous ne connaissons pas les